Sessions - Récits

Une nuit si commune…

de Jean-Pierre Becker

Cela remonte à plus de trois années qu’il ne m’est plus possible de pêcher autant que je le souhaite.

J’ai tout donné bien avant, dans les études, dans des travaux, etc. Mais là, quand on a des enfants, il me paraît évident de mettre certaines choses de côté et de m’organiser différemment pour pouvoir pêcher un peu.

Et le peu de temps que j’y consacre est généralement plus productif qu’auparavant.

À force d’expériences cumulées depuis bientôt des lustres, des destinations, des rencontres et des partages avec des pêcheurs spécialisés d’horizons variés, je me spécialise petit à petit à des pratiques connues, mais que je ne maîtrisais pas.

Et puis je suis de plus en plus mobile ; pas autant qu’un pêcheur aux leurres avec le plein d’essence, mais presque !

Nous voilà en ce printemps 2022, la saison est lancée. Je reste à la maison parce que deux enfants de seize et de dix kilos, ça ne fait pas la maille pour accompagner papa seul au bord de l’eau !

Les copains ont déjà commencé les sessions un peu partout et c’est apparemment compliqué.

J’ai quand même la chance (ou c’est moi qui l’entretien) d’avoir une femme exceptionnelle qui me laisse partir quatre nuits rejoindre Patrick pour un tournage de pêche en canal.

Quatre nuits, cinq postes, c’est au-delà de nos habitudes à tous les deux et nous sommes même parvenus à sauver le capot ! Mais ce n’était qu’une mise en bouche.

Car quand après des mois d’abstinence, je goûte à nouveau aux effets de la nuit sous mon pépin, du mucus et du Picon/bière (mais surtout du mucus), je ne pense plus qu’à ça.

Une nuit si commune… Jean-Pierre Becker | CARP LSD MAGAZINE
Je retente le Nylon…

La machine est remontée, la journée, je suis envoûté et porté par mes projets, la nuit, je dois rêver de stratégies sur mes pêches.

Je revis comme vous tous dès les premiers beaux jours ! J’ai quelques possibilités de partir pêcher en lac avec ma femme et mon plus grand fin avril début mai.

Nous allons faire quelques journées sympas pour passer du bon temps au bord de l’eau.

Fin avril, nous campons pour une nuit et pêchons la journée sur un poste que je connais très bien et que j’ai amorcé à la bille pure la veille. Des Scopex Squid pour les plus curieux.

Je pêche à deux cannes du bord. Les herbes ne sont pas très développées et je me la pète, he ouais… en Nylon, carrément (je ne pêchais plus en Nylon depuis 2004 !) et avec des hameçons très très très petits. Au moins si ça part, on verra ce qu’a le Bullet Mono Nash dans le ventre !

Nous arrivons tard et je lance les cannes pour quelques heures seulement. La pêche de nuit ouvre le premier mai, c’est complètement naze, mais ici, c’est comme ça.

Je programme mon réveil aux premières lueurs du lendemain, le jour béni du 23 avril, celui de mon anniversaire !

Le ciel est couvert, il n’y a pas de vent. Mes deux plombs tombent aux mêmes endroits qu’hier. Je me recouche et attends mon cadeau.

Mais rien ne se passe. Faut pas rêver ! Prendre une carpe ici est compliqué, très compliqué, alors de jour…

Je me réveille avec le doux son de la voix de mon fils qui me demande : alors papa tu as pêché des carpes ?

Eh non, pas cette fois. Nous partageons le petit dèj’ tous les trois dans la nature, au calme, au bord de l’eau. Quoi de plus chouette que de partager cela ? Et BIIIIIIP, ça part.

J’enfile les waders et fonce vers la canne. Et je capture… une jolie petite carpe piquée parfaitement.

Les sensations n’étaient pas au rendez-vous, même en pêchant avec des Scopes de 10 pieds 2lb25.

La faute au Nylon. Je n’ai plus l’habitude, mais peu importe, j’ai cette carpe d’anniversaire que nous partageons ensemble. La journée est gagnée !

Une nuit si commune… Jean-Pierre Becker | CARP LSD MAGAZINE
Carpe d’anniversaire…

Quelque temps plus tard, nous remettons le couvert. Cette fois, je peux pêcher la nuit. Les herbes ont bien poussé alors je change de taille d’hameçon, je passe en Claw taille 8, mais je reste en Nylon et fluorocarbone pour le bas de ligne.

Un montage Chod est esché d’une pop-up Scopex Squid blanche taillée en petit cube décollé de quelques centimètres, l’autre est mon montage classique posé sur le fond avec une bille rognée qui la rend très petite.

J’ai également amorcé la zone plusieurs fois sans excès et uniquement avec des Flakes de bouillettes Scopex Squid coupées puis trempées dans l’eau pendant plusieurs jours…

Ca part bien au lance-pierre si on les compacte un peu avec une amorce de friture et de la terre fine.

Nous installons le petit campement pour la nuit. Il ne se passe rien jusqu’à quatre-heures environ.

J’entends des blancs sauter un peu partout sur l’étendue devant moi. Le temps est le même que la dernière fois. J’ai grand mal à dormir tellement je suis excité. Je sais pourtant qu’il ne faut pas rêver ici.

Ce lac est à mon sens le plus complexe de tous ceux que je connais. C’est ici que j’ai commencé à pêcher sérieusement la carpe, en 93. Mais de l’eau a circulé dans ce lac.

Les carpes peu nombreuses connaissent la musique et détectent le moindre truc qui cloche.

Au moindre doute, il y a des chances qu’elles prennent la fuite pour ne plus revenir.

C’est pour cela que je tente le Nylon, deux cannes totalement détendues, pas de bateau, des petits matériaux à bas de ligne… Au passage merci Laurent Valette pour tous ses conseils !

Une nuit si commune… Jean-Pierre Becker | CARP LSD MAGAZINE

Plongé dans mes rêves, une canne se décide à partir ; celle en appât posé au fond.

C’est sûr qu’il s’agit bien d’une carpe, car le départ ne s’arrête pas. Je prends contact avec le poisson qui poursuit sa route. Il me prend des dizaines de mètres sans faiblir.

Au cas où j’ai tout de même gonflé mon bateau qui est paré. Le combat est interminable.

Je sens les rushs impressionnants mais avec moins d’intensité qu’une ligne tressée.

Allez, comme à l’ancienne, je rentre dans l’eau jusqu’aux genoux et place l’épuisette à gauche devant moi.

Je pense avoir pris la dose annuelle de combat avec ce poisson en colère. Et mes petites Scopes sont finalement à la hauteur de ce que je souhaitais.

Elles absorbent et encaissent tout comme il le faut, c’est important dans ces circonstances.

Le temps passe et arrive enfin la cliente à portée de frontale ; elle n’est pas pressée. Elle me fait un remue-ménage de dingue.

Je parviens à la mettre dans l’épuisette du premier coup. Et bordel… A ce moment-là, je réalise que j’ai pris une géante, une vraie comme je n’en avais pas attrapé depuis 2006.

Mais dans ce lac, c’est la première fois. Je garde les pieds sur terre.

J’évite déjà de gueuler parce que mon fils et ma femme dorment, et je me contente d’une espèce de fou rire nerveux, plié en deux le front dans l’eau. Merde la frontale…

Je ne veux pas perdre de temps, il faut pêcher. Je glisse la mémère dans un sac et replace ma canne avec un montage neuf et seulement un petit stick pour éviter l’emmêlage.

Après le petit « plouf », je retourne voir le poisson, pour mieux réaliser, et profiter. Cette commune est en parfaite santé.

Elle a la particularité d’avoir deux excroissances au nez. Je l’estime à 28 kilos. On verra ça demain matin. Je me recouche et malgré l’euphorie, je m’endors vite, crevé de mes semaines passées.

J’ouvre un œil aux premières lueurs, le referme. Je songe à la pêche que je viens de réaliser.

Un départ se produit sur l’autre canne. C’est encore très lourd et je peine à distinguer des signes particuliers.

Le poisson se rend plus vite que l’autre.

C’est encore une commune, plus petite, mais de belle taille. Je termine de mettre cette beauté au sac quand l’autre canne démarre à une vitesse ahurissante.

C’est un tout droit que mon petit moulinet Scope GT 8000 encore relativement vierge se rappellera toute sa vie.

Je saisis la canne et serre très lentement le frein pour laisser le poisson filer.

Je sais qu’il y a de très nombreuses souches mais tout devrait bien se passer. Les herbes sont encore relativement peu développées.

Le jour se lève tranquillement. La bataille fait rage.

Ce combat est similaire au premier, mais avec des tout droits plus brefs. Et cela me semble très lourd.

Les coups de tête sont longs. J’ai encore besoin de ma frontale pour voir si la torpille arrive.

Elle est là, à quelques tours de manivelle du filet. C’est une commune qui passe le mètre.

Je la rate une fois peut-être trop hâtif, mais le deuxième passage est le bon.

Toute la longueur du poisson file sur la ficelle de l’épuisette « SSSSSSLLAATCHHH » ! HOUUUUUU mais quelle nuit.

Je pose la canne et ouvre l’épuisette. C’est encore une géante, mais sans doute moins monstrueuse que la première.

Je relance mes deux cannes. J’entends les premiers bateaux des lanceurs de tôles et leurres en plastique arriver. Je me recouche totalement vidé, les pieds gelés, mais qu’est-ce que je suis heureux !

Mon fils me réveille. Alors papa t’as pêché des carpes ? OH OUI, j’en ai pêché, et trois bien plus grosses que toi !

Je commence par peser la deuxième, la plus petite, qui fait tout de même 23,500 kilos. Pas mal pour s’échauffer. Une commune magnifique qui me fait dire que la première est vraiment énorme.

Une nuit si commune… Jean-Pierre Becker | CARP LSD MAGAZINE
La plus petite : 23,500kg !

 

Et en effet, il s’agit de mon deuxième plus gros poisson, de 29 kilos. Une beauté en condition parfaite que je manipule avec grand respect. J’en ai déjà plein les bras, mais il me reste la dernière.

Une nuit si commune… Jean-Pierre Becker | CARP LSD MAGAZINE

Une nuit si commune… Jean-Pierre Becker | CARP LSD MAGAZINE
29 kg sur la balance !

 

Et là c’est la surprise totale. Je n’avais pas réalisé à quel point ce poisson était incroyable. Lorsque je la pose dans le tapis, elle touche presque les deux côtés (118cm).

D’aspect elle ressemblerait presque à un gardon.

Elle n’est pas forcément très haute mais elle est si large, si épaisse que je sais qu’elle dépasse les 30 kilos.

Et effectivement, ce poisson en fait deux de plus ; deux fois le poids de mon garçon qui la touche et l’observe.

Une nuit si commune… Jean-Pierre Becker | CARP LSD MAGAZINE
Une très longue commune de 32kg tout rond !

Que dire pour conclure ce petit article ?

Que j’ai réussi grâce aux bouillettes, au matériel, à l’amorçage ?

Eh bien NON, je ne dirais rien de cela, car je voudrais inverser cette tendance systématique qui dit à chaque fois « -C’est grâce à ceci, c’est grâce à cela que j’ai fait le job ! ».

Mais non ! C’est tout simplement grâce au pêcheur lui-même que la pêche est réussie !

Faites-vous plus confiance aux appâts qu’en vos compétences ?

Tout est un ensemble qu’il convient d’harmoniser comme j’ai pu le faire. Mais cette fois, tous les éléments étaient réunis pour que cela fonctionne : adaptation, expérience et chance.

Une nuit si commune… Jean-Pierre Becker | CARP LSD MAGAZINE

Nous sommes en juin, je ne vais toujours pas plus à la pêche, mais nous y allons de temps en temps dans le but de faire découvrir la nature à mon fils et de passer du bon temps ensemble.

Prendre des carpes est presque secondaire, c’est la cerise sur le gâteau.

Une chose me rend fier, c’est de pouvoir pêcher de tels poissons dans de tels lieux dans lesquels j’ai grandi.

Et le peu de nuits que je consacre et que je consacrerai à la pêche, au risque très élevé de ne rien prendre, c’est ici que je veux les passer…

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