Il existe des pêcheurs et des poissons qui ont marqué l’histoire de notre passion, comme Richard Walker avec Clarissa en 1952, Didier Cottin avec Moby-Dick en 1988 ou encore Léon Hoogendijk avec Bulldozer en 1993. C’est également le cas de Marcel Rouvière et de sa carpe miroir de 74 livres (37 kilos) prise au début des années 80.
Voici son histoire…
En août 1981, une annonce est faite dans le magazine « La Pêche et les Poissons » : la prise d’une carpe record du monde ! Un véritable poisson venu de l’espace, à cette époque.
Imaginez qu’à l’époque le record de la carpe en France atteignait seulement les 25,450 kilos et avait fait les gros titres de « La Pêche et les Poissons » en janvier 1979.
Une carpe hors norme
Nous étions à une ère où prendre une carpe de 15 kilos était un magnifique « coup de ligne » et la barre mythique, qui était à 20 kilos, correspondait au poisson d’une vie pour les chanceux posant avec une telle carpe sur une photo.
Aujourd’hui, prendre une 20kg est (malheureusement) devenu presque banal. De nos jours, avec la prise de quelques carpes de plus de 40 kilos et une autre (pauvre bête) de plus de 50 kilos, on se demande où se trouve la barre mythique.
Les pêcheurs attendaient, sans doute avec une grande impatience, la parution du magazine « La Pêche et les Poissons » numéro 436 de septembre 1981, pour voir les photos de cette carpe hors norme et savoir ainsi comment elle avait été prise.
Jour J, le magazine est dans les kiosques et la nouvelle carpe record est en couverture ! L’image de cette dernière serait choquante à notre époque, mais il n’en était rien en 1981. En effet, ce poisson est pendu à une corde et du sang coule de ses ouïes. Mais nous le savons tous, on ne parlait pas de no-kill en France, contrairement aux Anglais qui à la même période avaient une grande longueur d’avance sur la pêche de la carpe et une « vraie » éthique qui prônait le respect du poisson.
Une date historique
Gilbert Bordes, l’auteur de cet article, nous explique que le 7 juillet 1981, Madame Piou, qui détenait un magasin de pêche à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), lui avait téléphoné pour lui annoncer la prise de cette carpe géante ce jour même dans la rivière Yonne, à quelques kilomètres de son embouchure avec la Seine. Gilbert B. avait eu du mal à la croire et pensait qu’elle parlait du poids du poisson en livres et non en kilos. Devant l’insistance de la commerçante, il s’était empressé d’aller sur place.
Il y avait du monde au magasin de Mme Piou : les badauds voulaient observer ce poisson hors norme et un brigadier de police était présent pour certifier le record. Problème : il n’y avait pas de peson assez gros.
Une brouette fut alors nécessaire pour amener la carpe chez le poissonnier, mais sa balance n’allait pas au-delà des 20 kilos… Direction donc chez le boucher, où la pesée était possible et où le brigadier annonça un poids de 37 kilos. La prise des mensurations dévoilait un mètre de long et un mètre vingt de circonférence. Le policier municipal s’était ensuite empressé d’aller à la mercerie voisine pour faire taper à la machine à écrire le constat qui officialisait le nouveau record de France, d’Europe et sûrement du monde.
Le record avait été explosé ! En effet, le précédent était de 25,450 kilos, une carpe prise à Saint-Cassien, trois ans plus tôt.
La nouvelle carpe record avait été ensuite naturalisée et exposée à la maison de la pêche et de la nature de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).
La stratégie de Marcel
M. Rouvière était retraité et pêchait seulement le matin, avant que le soleil ne soit trop haut dans le ciel car ensuite d’après lui, les grosses carpes ne mordaient plus.
M. Rouvière entretenait plusieurs spots toute l’année en y jetant du maïs cuit dans de l’eau sucrée et des boules de « Rich’Pro », une HPB (Hight Protein Bait – Appât à haute teneur en protéines) de la firme Sensas.
La « Rich’Pro », contenant 60 à 70% de protéines, était un mélange de farines pour lequel il fallait incorporer un peu d’eau pour obtenir une pâte ferme tenant bien à l’hameçon (similaire à la pâte utilisée actuellement pour la pêche en carpodrôme).
Les publicités que nous trouvions notamment en 1979 vantaient les mérites de cet appât à attirer les grosses carpes. Force est de constater que la carpe de Marcel Rouvière confirmait ces dires.
L’esche utilisé ?
Quelques grains de maïs doux enfilés sur un hameçon simple numéro 2/0 puis trempés dans du miel.
M. Rouvière pêchait avec une plombée coulissante de 35 grammes et un flotteur fixe. Le corps de ligne était un nylon de 35/100 et le bas de ligne, de 70cm, était en 28/100, tous deux de la marque Water Queen qui n’avait pas loupé de faire une publicité pleine page dans le magazine. Honnêtement, elle aurait eu tort de ne pas le faire !
Pour la petite histoire, Marcel Rouvière avait dû se faire aider par deux jeunes vacanciers pour sortir la carpe de l’eau : sinon, il n’aurait jamais pu arriver au bout du combat seul, tant il était fatigué.
Il signalait par ailleurs que l’année précédente, une carpe s’était décrochée devant l’épuisette après une heure de combat et, comparé à la largeur d’un mètre de cette épuisette, il estimait ce poisson à un mètre vingt.
Le 10 juillet 1981, sois trois jours après le record du monde, M. Rouvière attrapait une carpe de 22 kilos, et rappelons-le, les « 20+ » était exceptionnelles à l’époque.
Je me souviens d’une petite polémique, dans les années 90, concernant le poids de cette carpe miroir. En effet, il pourrait être étonnant qu’elle fasse 37 kilos tout rond. Était-ce le brigadier qui n’était pas à quelques grammes du poids exact ? Cela dit, elle était bien plus grosse que le record précédent, c’est indéniable.
Un record qui a tenu très longtemps
Il fallut 17 ans pour que ce record du monde soit battu, et ce, de… 300 grammes. Là aussi, certains se posaient la question de la véracité de ce nouveau record effectué dans un plan d’eau roumain très médiatisé à l’époque. Nous pouvions entendre dire que ces quelques grammes avaient été rajoutés pour faire un bon coup de pub. Je ne m’aventurerais pas sur cette hypothèse, c’était, dans tous les cas, un poisson énorme.
Le record de France ne fut, quant à lui, battu que 29 ans plus tard du côté de Lyon. Un poisson connu à l’époque pour avoir été pris à plusieurs reprises à plus de 30 kilos.
Toujours dans l’article paru dans « La Pêche et les Poissons » en 1981, Gilbert Bordes s’interrogeait finalement : « Ce nouveau record pose la question de savoir jusqu’où peut aller le poids de la carpe. Il y a une dizaine d’années, on estimait que 25 kilos étaient déjà un maximum. »
Encore aujourd’hui, avec la prise d’un poisson de 51,200 kilos, certes éthiquement parlant horrible, on continue de se poser la question : jusqu’où peut aller le poids de la carpe ?
Ce numéro 436 possède sans doute la couverture d’un magazine de pêche la plus connue des carpistes : il en est d’ailleurs devenu collector. Malgré sa rareté, il est possible de trouver ce magazine sur des sites de ventes d’occasion en ligne pour des prix raisonnables, car vendus par des « non-initiés ».
Enfin, voici en exclusivité pour Carp LSD le point GPS de la prise ! 48°21’55.41’’N – 3°00’49.05’’E … ou pas loin de là…
