Le Sommaire | Carp Lsd Article
Le phénomène, amorcé il y a pas loin de 20 ans maintenant, continue et, ces dernières années, s’amplifie : dans de nombreuses eaux on constate que le poids moyen des carpes monte et qu’il y a de plus en plus de grosses et très grosses carpes un peu partout.
On le constate en France, mais également dans le reste de l’Europe. Que se passe-t-il exactement et où cela va-t-il s’arrêter ? Voici toutes les explications et réponses !
Dans les années 80 et encore au début des années 90 les carpes de plus de 20 kg étaient infiniment plus rares qu’aujourd’hui. Déjà les carpes dépassant les 15 kg étaient considérés comme des gros spécimens à cette époque.
Bien sûr, il existait quelques exceptions sur la règle, notamment à Saint Cassien dans les années 80 puis à Orient et quelques autres lieux au début des années 90.
Ces exceptions avaient en commun qu’il s’agissait des eaux extrêmement riches (et équilibrées) en nourriture naturelle, sous-peuplées en carpes de souche exceptionnelle.
Mais mis à part ces exceptions les grosses carpes étaient plutôt rares partout ailleurs. Quelque chose a changé depuis car de très nombreuses eaux produisent aujourd’hui sans problème des carpes de plus de 20 kg, les 25+ sont présentes dans toutes les régions de la France et même les 30 kg+ se font prendre à de très nombreux endroits, on n’arrive plus à les compter…
Alors quels sont les facteurs qui ont fait évoluer nos populations de carpes à ce point-là ? Beaucoup d’explications théoriques sont avancés par les carpistes, souvent sans arguments solides – c’est typique pour l’univers carpiste d’aujourd’hui : on ne comprend pas un phénomène donc on « invente » une explication et on l’accepte comme vérité.
Quand il s’agit du matériel et du business les champions du marketing sont souvent à l’origine des idées reçues, et même si ces idées sont à la base lancées par les carpistes ils aiment (et savent) bien surfer sur la vague pour nous inciter à acheter tout et n’importe quoi.
Mais même sur les sujets qui ne sont pas liés au matériel et au commerce, les idées reçues qui circulent dans le milieu carpiste sont très nombreuses.
Et c’est aussi le cas avec le sujet de cet article. Pour tout vous expliquer, à travers une analyse critique et avec des arguments qui tiennent la route, je vous propose donc d’abord de balayer quelques idées reçues.
L’évolution du matériel
Certains carpistes prétendent qu’il y a toujours eu beaucoup de grosses carpes et même des très gros sujets de plus de 30 kg partout mais que le matériel et techniques du passé ne nous permettaient pas de les prendre.
Pourquoi donc ?
Non seulement les grosses carpes sont plus facilement séduites par nos appâts (car elles sont plus voraces et plus opportunistes) mais en plus elles ne se battent pas forcément plus que les carpes de 10 à 15 kg en pleine forme, et pas rarement les combats qu’elles nous livrent sont même assez décevants.
Je ne sais pas depuis quand ceux qui prétendent qu’avant notre matériel et nos approches n’étaient pas à la hauteur pêchent la carpe mais je peux vous assurer que dans les années 80 notre matériel était déjà bien suffisamment performant et nos approches déjà bien suffisamment élaborées pour prendre les plus grosses carpes dans n’importe quel lieu.
J’en veux pour preuve que quand les carpistes modernes sont arrivés en nombre sur le lac de Saint Cassien à partir du milieu des années 80, ils n’avaient aucun mal à prendre TOUTES les grosses et très grosses carpes du lac !
Je suis moi-même venu vivre définitivement en France à partir de 1987 et sur les gravières vierges de 6 à 30 ha que j’ai pêché à cette époque je prenais des populations de carpes entières (ou presque) dont les plus gros sujets, et cela en un rien de temps.
Il suffisait d’amorcer un peu à la bouillette pour accoutumer les carpes puis c’était l’usine. Les carpes étaient encore très naïves et les plus grosses étaient souvent les premières à se laisser piéger, puis à être doublés et triplés !
Donc côté matériel, techniques et appâts nous étions déjà assez au top pour pouvoir prendre les plus grosses carpes, mais si nous n’en prenions pas beaucoup c’était tout simplement parce qu’il y en avait que très peu. Voilà donc déjà une idée reçue à supprimer.
Nous sommes plus nombreux à pêcher la carpe
D’autres carpistes prétendent qu’aujourd’hui bien plus de grosses carpes sont capturées du fait que nous sommes bien plus nombreux à les pêcher, mais qu’en fait il y en avait déjà autant avant.
Voilà encore un argument jeté en l’air sans aucune réflexion. Si c’était le cas, moi et tous les autres qui pêchaient déjà la carpe dans les années 70, 80 et 90 devrions prendre autant de grosses carpes à ces époques qu’aujourd’hui, or ce n’est absolument pas le cas, loin de là.
Le fait que plus de grosses carpes se font prendre quand on est plus nombreux à les pêcher est vrai, mais le nombre de carpistes a guère évolué ces dernières 15 années (le nombre de carpistes s’est plutôt stabilisé) et pourtant le poids moyen des carpes et le nombre de très grosses carpes capturées est en constante augmentation.
Le fait d’être plus nombreux à pêcher la carpe a également comme conséquence que les mêmes grosses carpes se font prendre plus souvent, mais on voit clairement que les eaux produisent de plus en plus de grosses carpes différentes, donc leur nombre augmente. Deuxième idée reçue éliminée !
Le réchauffement climatique
Voilà un sujet qui nourrit bien des débats et crée une incroyable confusion ! Le climat a un effet direct sur la croissance des carpes, c’est indéniable.
Plus les hivers sont doux et courts, plus longtemps les eaux sont et restent prolifiques en termes de disponibilité de nourriture naturelle qui profite à la croissance de nos carpes.
Autrement dit les carpes peuvent bien se nourrir pendant une plus grande période de l’année. Rajoutez à cela que plus l’eau est chaude (ou moins qu’elle est froide), plus le métabolisme des carpes est performant, et voilà on pourra penser que le réchauffement climatique pourrait faire grossir d’avantage nos carpes.
Seulement voilà, ce raisonnement ne tient absolument pas la route, et cela pour plusieurs bonnes raisons. Il est vrai que quand on compare un pays comme la Hollande (ou l’Angleterre) avec la France, on constate que depuis toujours la France a produit de plus grosses carpes et plus de grosses carpes tout simplement dû à un climat favorable (hivers plus doux et plus courts, étés plus chauds).
Par contre, si on compare avec le nord de l’Europe, il faut aussi comparer avec le sud de l’Europe où les hivers sont encore plus courts et plus doux qu’en France, et là, au lieu de trouver encore plus de grosses carpes avec des spécimens encore plus gros on voit le contraire : des eaux souvent infestées de petites carpes (2 à 3 cycles de reproduction par an) qui ont vraiment du mal à grossir.
Il y a donc un juste milieu, et en France le climat semble être pile-poil bon pour une croissance optimale des carpes.
Bon, il existe quelques rares exemples de lacs dans des pays plus chauds que la France et qui produisent quelques (très) grosses carpes, mais ce sont systématiquement des lacs où une pêche professionnel intensive régule la population des carpes, qui ne sont donc jamais en surnombre et de ce fait ne subissent que très peu de concurrence sur le plan alimentaire.
Toujours est-il que ces lacs, où théoriquement les conditions sont idéales, ne produisent pas autant de grosses carpes que les bons lacs en France. La France reste à ce jour incontestablement le meilleur pays au monde pour pêcher les grosses carpes.
Maintenant, pour revenir sur le climat, on voit clairement qu’il y a un juste milieu, trop froid n’est pas bon, trop chaud non plus.
Sachez qu’en réalité un break hivernal sur le plan alimentaire (une petite période sans ou avec très peu d’alimentation) est bénéfique pour la santé et la croissance des carpes au cours de leur vie, car pendant ce break certains fonctions de leur organisme se reconditionnent (se ré-optimisent), et c’est notamment le cas pour leur métabolisme, qui quand les carpes se « réveillent » en fin d’hiver sera plus performant. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des biologistes qui ont étudié tout ça qui l’ont constaté.
Ceci explique également que dans les pays froids les carpes vivent deux à trois fois plus longtemps que dans les pays chauds, car les hivers rudes ont un effet bénéfique sur la santé des carpes.
De ce point de vue un réchauffement climatique en France pourrait même avoir un effet négatif sur la santé et la croissance des carpes. Mais pas de panique, en réalité le réchauffement climatique, bien que réel au niveau planétaire, est pour l’instant à peine mesurable au niveau de la France, ou en tout cas est tellement faible que cela ne pourrait absolument pas avoir d’effet sur la croissance des carpes tels que nous le constatons depuis 15 ou 20 ans.
L’augmentation de la température moyenne en France depuis 1990 est de l’ordre de 0,4° Celsius selon les données fournies par les satellites de la Nasa. On parle de la température moyenne, à Paris la différence était un peu plus importante et dans certaines autres régions la température moyenne a même baissée depuis 1990.
Selon les scientifiques la température moyenne en France va augmenter, selon les régions, de 2 à 3° Celsius d’ici l’an 2070. Certaines régions de la Terre seront moins impactés, d’autres beaucoup plus, certains glaciers fondront, le niveau des océans va monter, les piques de chaleur estivales vont s’accentuer, les pluies printanières s’intensifier, mais pour l’instant, en France, l’augmentation de la température moyenne entre 1970 et 1990 était 4 fois plus importante que l’augmentation de température moyenne depuis 1990 jusqu’à nos jours !
Donc, si le réchauffement climatique avait un réel effet sur la croissance des carpes nous l’aurions constaté entre 1970 et 1990, or nous ne constatons le phénomène de la croissance boostée chez les carpes que depuis le milieu des années 90, et nous le constatons de façon plus accentuée depuis 2005. Autre considération à prendre en compte, si les 0,4° (ou même 0,6° dans certaines régions) en plus aujourd’hui suffisaient vraiment pour faire grossir davantage nos carpes, il devrait y avoir bien plus de grosses carpes dans le sud de la France des années 80-90 que dans le nord de la France d’aujourd’hui, mais là encore ce n’est pas le cas.
Donc, oublions pour l’instant l’effet du réchauffement climatique. Troisième idée reçue éliminée !
Voyons maintenant les vraies causes, les vraies raisons qui expliquent le nombre de grosses carpes aujourd’hui.
Le No-Kill
La pratique du no-kill, le « catch & release » a réellement un effet sur le poids moyenne de nos carpes aujourd’hui, mais pas forcément pour les raisons que vous croyez.
Ce n’est pas parce-que nous relâchons les carpes et que de ce fait elles vivent plus longtemps qu’elles deviennent plus grosses. Non, car la croissance des carpes s’étale, à partir de leur naissance, sur une durée de 12 à 17 ans (selon les souches et les biotopes), puis leur taille et poids se stabilise.
Ensuite, en fin de vie, les carpes perdent du poids et leur squelette peut même rétrécir. Des carpes de 17 ans et plus, donc des poissons qui ont atteint leur taille et poids maximum, il y en a eu depuis toujours. Vu sous cet angle, le no-kill n’explique pas le fait qu’il y a beaucoup plus de carpes de 20, 25 et 30 kg aujourd’hui. Non, la raison est ailleurs.
En fait, la généralisation du no-kill depuis les années 90 a incité les AAPPMA et les communes à ne plus aleviner, ou à aleviner que très peu souvent, et de petites quantités. Après tout, à quoi bon d’aleviner les carpes alors que les carpistes les relâchent ?
Ce changement de gestion piscicole a des conséquences. Dans la très grande majorité des eaux où nagent surtout des carpes de souche royale, les poissons, bien qu’elles frayent tous les ans, ont quand même du mal à se reproduire avec suffisamment de succès pour équilibrer leur population.
Rajoutez à cela que ce sont surtout les jeunes carpes qui dans les deux ou trois premiers cycles de reproduction produisent une descendance résistante aux maladies, aux bactéries et au froid de leur premier hiver.
Les grosses carpes, plus âgées, frayent aussi, mais leurs œufs sont moins fertiles et leur descendance est fragile, peu résistante et a peu de chance de survivre et de se développer en poisson mature, du moins dans la nature où tous les dangers les guettent.
Donc, si on arrête les alevinages, la population de carpes change, il y a de moins en moins de jeunes carpes et il y a de moins en moins de carpes tout court, car pratiquement chaque année il y a quelques poissons qui meurent pour diverses raisons.
Moins de carpes se traduit par moins de concurrence alimentaire, et là on tient un argument valable pour expliquer que le poids moyen des carpes monte et qu’il y a plus de grosses carpes qu’avant.
Cela concerne donc surtout les eaux qui ne sont plus alevinés et où les carpes ne se reproduisent pratiquement pas. Mais cela en soi ne suffit pas pour expliquer tout l’ampleur du phénomène des nombreuses grosses carpes qu’on trouve un peu partout en Europe aujourd’hui.
Les eaux plus claires
Dans beaucoup de régions on constate que les eaux sont de plus en plus claires, et de plus en plus encombrées de végétation aquatique. Beaucoup de carpistes croient à tort (une fois de plus !) que c’est à cause de la pollution agricole, à cause des phosphates et des nitrates que les eaux deviennent claires et se remplissent d’herbiers.
C’est faux, et c’est même tout le contraire ! C’est dans les années 70-95 que la pollution en phosphore (sous forme de phosphates) dû à l’agriculture intensive, les eaux usées domestiques et l’industrie a atteint son niveau maximum, puis les teneurs en phosphates dans les cours d’eau en France ont globalement baissé de moitié (et même jusqu’à 80% dans certaines régions) entre 1998 et aujourd’hui, grâce notamment aux meilleurs traitements des stations d’épuration et à la baisse sensible de l’utilisation des engrais phosphatés.
Ces phosphates (le phosphore) sont responsables de l’eutrophisation des milieux aquatiques en favorisant le développement des algues (dont certaines peuvent être toxiques) qui troublent l’eau (surtout quand elles se décomposent), et en limitant la croissance des autres plantes aquatiques.
En eau trouble la photosynthèse est compliquée et dans certains cas les plantes s’asphyxient (et disparaissent complètement). Le fait que la pollution aux phosphates a bien baissée a donc rendu nos eaux plus claires.
Du coup les plantes aquatiques se portent très bien car la photosynthèse est optimale. Des eaux plus claires avec plus d’herbiers sont plus prolifiques en termes de production de nourriture naturelle pour nos chères carpes.
Voilà encore un facteur favorable pour la croissance de nos carpes. Mais là encore, cela ne suffit pas pour expliquer les prises de poids que nous constatons chez les carpes depuis un certain temps.
Changement de comportement
C’est indéniable, la pression de pêche a radicalement changé le comportement de nos carpes. Pas forcément dans le sens négatif. Avant, les carpes n’étaient pratiquement pas actives en hiver, et dans certains cas elles entraient carrément dans un état d’hibernation.
Sur les eaux pas ou à peine pêchées c’est toujours le cas. Lorsque la température de l’eau y descende en-dessous de 10° Celsius les carpes se nourrissent beaucoup moins et lorsque la température descend à environ 5° Celsius les carpes ne bougent pratiquement plus du tout et à 4° elles entrent dans un état comatique.
En fait ces carpes suivent un rythme biologique tout à fait logique. Quand l’eau se refroidit la nourriture devient rare. Pour en trouver, les poissons vont dépenser plus d’énergie que le peu de nourriture qu’ils trouvent leur rapporte. Cela n’a pas de sens, donc autant ne pas bouger pour ne pas dépenser de l’énergie et s’affaiblir inutilement.
C’est important pour les carpes de se préserver, car il faut qu’elles soient en forme pour le cycle de reproduction quand le printemps arrive. Donc elles écoutent leur horloge biologique.
Mais dans les eaux où depuis pas mal d’années maintenant les carpistes pêchent et amorcent pratiquement toute l’année, mis à part peut-être les quelques semaines les plus froides de l’année (et encore), nous avons modifié cette horloge biologique.
Les carpes qui, dans ces eaux, ont grandies et grossies largement grâce à nos billes et graines ont fini par considérer nos amorçages comme une source de nourriture naturelle qui reste encore largement disponible durant une grande partie de la saison froide, donc pourquoi s’en priver ?
La pression de pêche, ou plus précisément nos amorçages, ont modifié le comportement des carpes qui maintenant continuent à se nourrir une grande partie de l’hiver.
On a longtemps cru que les carpes sont incapables de digérer leur nourriture quand la température de l’eau descende en-dessous de 10° Celsius. Grâce aux recherches des biologistes travaillant dans l’industrie des nourritures pour carpes koïs et aux expérimentations de certains pisciculteurs nous savons maintenant que c’est faux.
Les carpes continuent à digérer leur nourriture dans une eau froide, mais le temps pour une digestion complète est considérablement plus long. Par exemple, dans une eau de 23° il faut environ 48 heures pour une digestion complète de la nourriture naturelle, dans une eau de 12° il faut environ 60 heures et dans une eau à 7° il faut environ 100 heures.
Toujours est-il que si la carpe mange en hiver alors qu’avant elle ne mangeait pas ou pratiquement pas, cela aura forcément un effet sur sa croissance, même si en hiver il faut du temps pour digérer.
Super Food !
Et maintenant nous arrivons à l’une des raisons principales qui explique l’abondance des grosses carpes et la présence de nombreuses très grosses carpes dans nos eaux. C’est bel et bien grâce à nos bouillettes !
Les billes que nous jetons à l’eau ont un impact énorme sur la croissance des carpes, et non seulement du fait que si nous amorçons assez, cette source de nourriture supplémentaire devient abondante, mais plus encore car nous sous-estimons très largement la valeur nutritive de nos billes comparées à la nourriture naturelle des carpes !
En fait, la nourriture naturelle n’est pas aussi nutritive que vous pouvez croire. Les moules et escargots d’eau sont pour plus de 80% composés d’eau, et l’eau en soi n’est pas du tout nutritive.
Les larves et insectes c’est la même histoire. « Et les écrevisses alors ? » me diront certains. Eh bien, ce n’est pas mieux : 82,6% d’eau, 15,2% de protéines, 0,64g de lipides, 1,7g de glucides ! Une bouillette, même réalisée à partir d’une recette très basique, contient plus de protéines et infiniment plus de lipides et de glucides !
Mais ce n’est pas tout ! La nourriture naturelle des carpes est mangée crue. Les protéines des aliments crus sont repliées sur elles-mêmes et relativement difficiles à digérer. Or, la cuisson de nos billes dénature les protéines qu’elles contiennent.
Ces protéines se déplient et deviennent beaucoup plus digestes, beaucoup plus nutritives ! Un phénomène du même genre se passe avec des glucides qui grâce à la cuisson se transforment pour atteindre un index glycémique bien plus élevé, c’est-à-dire qu’ils fournissent bien plus, plus facilement et bien plus rapidement de l’énergie aux carpes que le peu de glucides présents dans leur nourriture naturelle. En fait, même la bille la plus simple est déjà une super-nourriture pour la carpe, une véritable bombe d’énergie !
Et ce qui est vrai pour les bouillettes l’est aussi pour les graines qui, une fois cuites, sont bien plus digestes et nutritives.
La grande mode depuis une quinzaine d’années est d’amorcer pas mal. Nous sommes bien plus nombreux à amorcer et nous amorçons de plus en plus, même en hiver.
Et nous n’amorçons pas n’importe quoi mais, sans en être forcément conscient, une « super food », une nourriture plus nutritive et plus facile à digérer que la nourriture naturelle. Une nourriture plus facilement disponible aussi (plus facile à trouver). Nous avons, avec nos amorçages, créé un contexte optimal pour stimuler au maximum la croissance de nos carpes !
Les carpes mangent plus, elles grossissent plus vite et beaucoup plus qu’avant, au point même de devenir obèse, ce qui en revanche a des conséquences négatives sur leur santé et espérance de vie. Les carpes qui grandissent et grossissent grâce à nos appâts sont en moins bonne santé, les risques d’épuisement et de crise cardiaque sont plus élevés, et elles vivent moins longtemps.
Voilà la principale raison pourquoi les grosses carpes sont de plus en plus nombreuses sur nos eaux pêchées, et elles sont de plus en plus grosses aussi, partout en Europe où elles sont pêchées, et surtout, amorcées !
Privé vs public
Force est de constater que proportionnellement les privés produisent encore bien plus de grosses carpes que les eaux du domaine public. Le nombre de carpes de plus de 30 kg capturé dans les privés est tout simplement hallucinant.
Pourquoi ?
D’abord il faut préciser que ce ne sont pas tous les privés qui produisent des carpes géantes. Il y a beaucoup de privés en France où l’on trouve des populations de carpes « normales » comparable à celles qu’on trouve sur pas mal d’eaux publiques.
Les eaux privées qui produisent un grand nombre de très grosses carpes sont gérées spécifiquement dans ce but. Les carpes qui y sont introduites ont été sélectionnées, elles sont souvent achetées chez des pisciculteurs qui depuis la fin des années 90 se sont spécialisés dans l’élevage de carpes de souche à très haut potentiel de croissance.
Il s’agit de carpes spécialement destinées à devenir énormes, souvent achetées à des poids de 8-12 kg ou 12-15 kg. Mais ces poissons coûtent très cher, beaucoup plus cher que des carpes quelconques achetées dans une pisciculture quelconque.
Ces poissons sont donc exclusivement réservés aux privés, car ils coûtent bien trop chers pour être lâchés dans le domaine public. Créer un privé avec un cheptel de carpes géantes n’est pas difficile, mais c’est un gros investissement qu’il faut ensuite rentabiliser. Les postes et semaines de pêche y sont donc vendus chers, mais ce n’est pas la clientèle qui manque pour ce type de pêcherie.
Nombreux sont les carpistes à y réserver leur poste, dans certains cas même deux ans à l’avance ! C’est un business juteux qui va se développer davantage dans les années à venir.
Pour l’instant l’exemple le plus extrême est un plan d’eau appelé Euro Aqua. Ce n’est pas en France mais en Hongrie. Ce plan d’eau a produit les derniers records du monde dont le dernier en date est une miroir de 51,2 kg, dépassant de 2 kg l’ancien record du monde de ce lac.
Sur ce plan d’eau d’environ 11 hectares et dont la profondeur ne dépasse pas le 2 mètres sont recensées, selon le propriétaire, 800 carpes entre 20 et 30kg, plus de 140 carpes entre 30 et 40 kg et une dizaine carpes y ont désormais dépassé la barre de 45 kg ! Ce plan d’eau va probablement produire la première carpe de plus de 55 kg dans les années à venir.
Comment c’est possible ?
C’est simple : les carpes qui y sont introduites sont d’une souche à potentiel de croissance incroyable, et le propriétaire balance jusqu’à 8 tonnes d’amorce par semaine dans son lac !
Les carpes y atteignent un âge compris entre 12 et 15 ans puis meurent. Mais il suffit de les remplacer régulièrement pour conserver un cheptel hors normes. La semaine de pêche y est facturée à prix fort, majoré d’un supplément pour des bouillettes qu’on est obligé d’acheter sur place. Le proprio insiste aussi à acheter votre nourriture sur place et à venir manger dans son restaurant le soir.
Bref, c’est du commerce hautement rentable, et il va sûrement y en avoir d’autres du style dans un avenir proche, même en France, car il existe bel et bien une clientèle pour ce type de « parc d’attraction »…
Revenons au domaine public qui m’intéresse beaucoup plus en ce qui me concerne. Bien qu’il y a des très grosses carpes dans certains grands lacs et fleuves (je dis bien dans « certains », il n’y en a pas partout), proportionnellement ce sont surtout les gravières de moyenne ou petit superficie qui produisent le plus de gros poissons et de carpes géantes (30-40 kg).
Ces gravières, dont l’eau est souvent d’excellente qualité, sont déjà assez prolifiques en nourriture naturelle mais surtout, du fait qu’elles ne sont pas très grandes, l’impact de nos amorçages y est bien plus important.
Si par chance elles hébergent une bonne souche de carpes et si les carpistes y amorcent suffisamment, ce n’est qu’une question de temps avant qu’elles produisent des carpes énormes.
Par contre, j’ai l’impression (mais l’avenir nous le dira) que beaucoup d’eaux du domaine public sont pratiquement arrivé à leur pique en termes de populations de grosses carpes, et que certains sont déjà sur le retour.
Les anciennes populations de grosses carpes vont disparaitre, les carpes n’ont pas la vie éternelle, et dans bien des cas il n’y a pas grande chose pour les remplacer car il n’y a pas (ou pas suffisamment) d’alevinages en jeunes carpes pour équilibrer les cheptels.
Il n’est donc pas impossible que dans 10 ou 15 ans nous allons constater un appauvrissement du domaine public, avec de moins en moins de grosses et très grosses carpes, ou en tout cas bien moins qu’aujourd’hui.
À moins que les AAPPMA se réveillent et réintroduisent de nouveau régulièrement de jeunes carpes dans leurs eaux pour reconstituer des populations pyramidales.
Conclusion
Que peut-on conclure après ces constats ? On peut dire que les grosses carpes sont aujourd’hui à la portée de tout le monde, même les débutants, car il y en a pratiquement dans toutes les régions, et en nombre assez important.
On peut, si on veut, participer à la course aux carpes géantes, en choisissant les eaux qu’on pêche en fonction de leur cheptel. C’est un choix qui se respecte, à chacun sa pêche.
Personnellement, même si dans les années 90 j’aimais beaucoup ce qu’on appelle le « specimen hunting » car c’était un défi énorme à cette époque, j’ai décroché depuis. Bien sûr j’aime toujours prendre des grosses carpes, et je suis très content quand j’en prends une, mais je ne choisis pas mes eaux en fonction de leur cheptel en grosses carpes.
Le fait qu’une eau héberge oui ou non des carpes de plus de 25 ou 30 kg n’est plus un critère de choix pour moi.
Toujours est-il que la plupart des eaux que je pêche aujourd’hui hébergent quand même quelques sujets entre 25 et 30 kg, et en m’appliquant dans ma pêche j’en prends de temps à autre, comme beaucoup d’entre vous.
Mais dans ces eaux il est difficile de cibler les plus gros spécimens spécifiquement. En fait il suffit de s’appliquer dans sa pêche, et si on prend suffisamment de carpes on tombe de temps à autre sur les plus gros sujets. C’est une sorte de loterie mais à force de (bien) jouer on gagne tôt ou tard.