C’était le dimanche soir 24 juin 2018, Rod venait de nous quitter, je venais d’apprendre la triste nouvelle. Je m’en souviens comme si c’était hier. Que le temps passe déjà vite à mon âge…
C’était comme un choc électrique, ce n’était pas possible, Rod était un géant, un dinosaure, une légende vivante. Une légende ne meurt pas, l’homme si… D’une certaine façon Rod sera toujours là, il est éternel, surtout pour ceux qu’il a su inspirer et dont je fais partie.
« N’oubliez pas de sentir les fleurs le long du chemin », voilà sa philosophie, une philosophie grâce à laquelle ma passion est restée intacte et le restera toujours.
Rod nous a permis de « rêver » et pour ça je lui serai toujours reconnaissant, car c’est bien le rêve qui donne une dimension extraordinaire à la pêche telle que je la vis…
Pour beaucoup de carpistes français, le nom Rod Hutchinson fait directement penser aux parfums Scopex, Monster Crab et Secret Agent, ou aux cannes Dream Maker. Les plus anciens se rappellent sûrement de son bivvy Apotheosis (le premier vrai grand bivvy carpiste non basé sur le principe d’une parapluie-tente), mais peu connaissent réellement l’influence énorme qu’il a eue sur le développement d’appâts et de cannes dans les années 70 et 80.
Rod était un pêcheur de carpes hors pair, compétent, patient, inventif et scientifique. Ensemble avec Kevin Maddocks, Lennie Middleton et Fred Wilton, Rod était parmi les génies directement responsables de la révolution de la pêche de la carpe dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingts.
Sa contribution a été particulièrement importante dans l’introduction et le développement de nouveaux appâts, un sujet qu’il maîtrisait à la perfection en tenant compte des connaissances biologiques de la carpe et des propriétés chimiques et nutritives des attractants et ingrédients qui entraient dans ses compositions.
Une canne pour démarrer
Dès le début des années 70 on parle de Rod, quand il a commencé à pêcher le célèbre plan d’eau Redmire Pool, où avec son approche avec les graines il a réalisé des pêches extraordinaires. Chris Yates, qui a rejoint le syndicat de Redmire en même temps que Rod, le décrit comme « le meilleur pêcheur de carpes qu’il n’ait jamais connu » – et parle d’un homme qui n’a jamais cessé de bien réfléchir et de se remettre en question.
Dans les années 80 Rod était parmi les premiers Britanniques à venir traquer les grosses carpes en France sur des sites tels que Saint Cassien. Rod était un excellent auteur avec une plume en or. Il savait capturer l’attention de ses lecteurs avec un style unique. C’était un conteur d’histoires qui donnaient la chair de poule.
Il a signé de superbes livres tels que « The Carp Strikes Back », « Carp – Now and Then » et bien d’autres.
Dans une interview avec le journal Angling Times en 2013, il a été interrogé sur ses plus beaux souvenirs de pêche. Il a répondu : « Redmire Pool, avec Chris Yates pourchassant un record. Nous avons vécu de formidables aventures ensemble – c’était une période merveilleuse ».
Et il ajouta : « Et mes années de pêche à Savay Lake constituent pour moi sûrement la période la plus incroyable que j’ai vécue dans la pêche de la carpe en Angleterre ».
Rod n’a pas toujours travaillé dans le business de la pêche. Avant d’en faire sa profession il avait travaillé pendant de nombreuses années comme ouvrier dans l’industrie de la pêche professionnelle (réparation de filets et déchargement de poissons dans les chambres froides), puis ensuite dans le bâtiment. Alors que la crise frappait l’Angleterre dans les années 70, le travail dans le bâtiment se faisait rare.
Rod avait alors plus de temps pour aller à la pêche mais en même temps de gros soucis en ce qui concerne ses revenus. Il eut alors l’idée de créer la société Catchum (une firme d’appâts) en 1979, non pas pour gagner sa vie (il n’y croyait pas trop au début) mais pour compléter ses faibles revenus. Il avait commencé cette activité timidement dans son garage en fournissant des produits aux pêcheurs de son entourage, mais le succès était tel que quelques années plus tard il en a fait son métier à plein temps en ouvrant sa propre petite usine.
Toutefois, le premier produit auquel Rod avait donné un nom n’avait rien à voir avec les appâts, c’était une canne qu’il avait appelé la Big Pit Special et qu’il avait mis au point dans les années 70 avec le monteur de cannes Alan Brown. C’était la toute première canne à carpes commerciale de 12 pieds, spécialement conçue pour pouvoir lancer loin sur les grandes gravières.
Plus tard il signa un contrat avec Alastair Bond du célèbre atelier Custombuilt Fishingrods avec qui il développa les fameuses cannes IMX et plus tard les toutes premières Dream Makers.
Le hasard a voulu que grâce à Rod j’ai rencontré Alastair Bond en 1993 (une longue histoire que je vous raconterai peut-être une autre fois), avec qui je signai un contrat à mon tour, avec la bénédiction de Rod lui-même qui personnellement avait testé et approuvé le prototype de la première Orient Power Plus, une canne basée sur un blank en bore que j’avais mise au point avec l’ingénieur de blanks Cor Spinhoven aux Pays Bas. Rod estimait que le potentiel de cette canne était énorme pour la pêche des grosses carpes sur les grandes eaux du continent européen.
Sur les berges d’Orient
Jusque-là Rod était mon héros que j’adorais et dont je dévorais les livres et les articles. Puis en 1994 nous nous sommes rencontrés et le courant est passé tout de suite. Nous pêchions tous les deux à Orient, à la même époque, pendant plusieurs années. Il venait me voir à la Base Nautique ou à Géraudot, moi j’allais le voir à Bivvy City (Mesnil St Père). On passait d’agréables moments ensemble à papoter pendant des heures de la pêche et de toutes les choses de la vie…
En 1997, lui avec son pote Mally Roberts et moi avec mon pote Xavier Paolozzi nous sommes réunis pour le tournage d’un épisode Très Pêche (TF1) sur la pêche de la carpe, un film réalisé par Claude Cailloux. Là encore on a passé des soirées mémorables au bord de l’eau.
Depuis, nous nous sommes croisés un bon nombre de fois sur des salons en Angleterre, en France et en Italie où à chaque fois on se débrouillait pour aller fumer des cigarettes dehors ensemble, et pour aller boire quelques verres au bar tard le soir. Plusieurs fois nous avons dîné ensemble au restaurant.
Nous nous sommes également croisés (par hasard) sur les berges d’un lac en Italie, quand j’y étais pour pêcher le silure avec Xavier et Thomas Flauger. Quand on était ensemble on parlait toujours de la pêche et de la vie, et jamais de business.
C’était un vrai passionné avec un cœur énorme. C’était un vrai grand homme, un homme qui vivait pleinement. En fait, il était plus grand que la vie, une véritable légende qui va perdurer dans le temps !