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Observations d’un pêcheur de carpes…

Boudewijn Margadant

Une bonne partie de mon temps de pêche est consacrée à l’observation. Non seulement car j’aime ça, mais surtout car cela me permet ensuite de pêcher plus efficacement.

Les observations sont certes, des moments pendant lesquels vous auriez peut-être pu pêcher et prendre du poisson, mais si vous observez beaucoup et souvent, vous pourrez attraper plus de poissons lors de sessions plus courtes.

Au cours d’une mission d’observation, je vois une commune fouiller le fond furieusement et happer des insectes noirs. C’est le premier poisson que j’observe cette année dans cette portion d’eau.

Il impressionne non pas tant par sa taille, mais surtout par sa morphologie très haute et son dos épais. C’est génial. Je décide d’appeler ce poisson « la Bête ».

Observations d’un pêcheur de carpes…

La présence du poisson et le fait qu’il soit actif sont pour moi une raison suffisante pour revenir à la prochaine occasion, deux jours plus tard. Le printemps tente de s’imposer et, apparemment, il y a des choses à manger à cet endroit.

La Bête n’est sûrement pas la seule carpe à trainer dans ce coin. Très vite, je vois trois petites communes suspendues juste sous la surface. Un peu plus loin, deux dos de carpes crèvent la surface de l’eau.

Elles ont l’air beaucoup plus grosses. Je jette quelques morceaux de pain dans l’eau sur la zone des trois communes. J’espère les attirer, les mettre en activité, pour qu’à leur tour elles attirent d’autres carpes. Je vois maintenant deux petites miroirs et une belle commune vers les deux autres carpes et y amorce quelques morceaux de pain aussi. Caché dans les roseaux je patiente…

Les morceaux de pain dérivent lentement en direction des carpes mais passent par-dessus sans qu’il y en ait une qui s’y intéresse. Soudain apparaît une commune bien ronde en surface. C’est la Bête ! Je la reconnais instantanément.

Elle ne fait pas semblant et gobe les morceaux de pain les uns après les autres. C’est maintenant ou jamais. Avec les doigts qui tremblent, je fixe un morceau de pain sur l’hameçon et j’attends le moment où la Bête s’éloigne un peu pour lancer l’appât.

Je n’ai pas mouillé ce dernier avant pour éviter de faire trop de bruit quand il tombe sur l’eau. La Bête se retourne, ignore un autre petit morceau de pain mais prend le mien. Elle l’aspire avec ce bruit typique, le fil bouge et « boum » je ferre !

Le premier rush est violent et la Bête m’arrache une vingtaine de mètres de fil de mon moulinet. À cause de la vase qu’elle remue l’eau devient tout noire. Des algues vertes pendent sur mon fil.

Je la ramène un peu. Le reste du combat se joue à une dizaine de mètres de la berge. Elle joue de son poids et de sa force, moi je plie ma canne jusque dans la poignée, avec le frein bien serré. Un peu plus tard, je lève le filet. Je lève mon poing. Oui !

Observations d’un pêcheur de carpes…
Deux jours après avoir observé « la Bête » j’ai pu la capturer !

Peu après l’image est sur la carte mémoire de mon appareil photo. Lors de la remise à l’eau, je vois un peu plus loin nager une fully bien séduisante. Elle est bien plus petite que la carpe que je viens de prendre. Pourtant, je veux l’attraper aussi.

Petit bout de mousse

Les morceaux de pain sont ignorés, de même que les endroits amorcés avec des bouillettes broyées et des mini-pellets. En suivant ce poisson un peu plus longtemps, il semble aspirer des puces d’eau et les mêmes insectes noirs que la Bête il y a deux jours.

Heureusement, avec cela dans mon esprit, j’avais mis une boîte avec des mousses de différentes couleurs et tailles dans mon sac. Je choisis un petit morceau de mousse noire et pince sur mon fil une petite chevrotine à une distance de trente centimètres de l’hameçon.

Observations d’un pêcheur de carpes…
Un poisson que j’ai pu observer pendant plus d’une heure…

J’évalue le trajet du poisson et place délicatement la mousse à trois mètres de celui-ci. Je donne du mou pour plaquer le fil sur le fond. Je vois vaguement la mousse planer entre deux eaux. La carpe s’approche en aspirant des petites bêtes un peu partout.

Elle passe à côté de la mousse, puis se retourne. Là elle fonce droit dessus. Non ! Oui ! Mon Dieu, elle l’aspire ! Le fil se tend, je ferre. Game on !

Je n’aurais probablement jamais attrapé le deuxième poisson si je n’avais pas remarqué deux jours plus tôt que la Bête était en train de gober des insectes noirs.

Dans les jours qui suivirent, la mousse flottante semblait être la solution ici à chaque fois que les poissons boudaient les autres appâts. Je les attrape à un endroit où je ne pensais jamais pêcher. Il faut donc d’abord trouver les poissons, puis regarder ce qu’ils mangent.

Les pêcheurs à la mouche et les pêcheurs de carnassiers font ça aussi, et ce n’est pas pour rien. La plupart des pêcheurs de carpes supposent que les carpes accepteront leurs appâts et passent beaucoup de temps à attendre les touches…

 

Observations d’un pêcheur de carpes…
Des carpes traversant un herbier.
Observations d’un pêcheur de carpes…
Une carpe en pleine activité alimentaire.

Les carpes dans la baie

Un banc de carpes se tient dans une baie remplie d’herbes. Les poissons se sont installés ici parce que le vent y a repoussé les nuages ​​de puces d’eau. L’eau est limpide. Certains poissons sont facilement identifiables du fait de leurs écaillures ou blessures.

Je vois comment ils bougent et ce qu’ils font. J’observe les poissons depuis trois jours sans les pêcher. Il est parfois difficile de se retenir lorsqu’on observe un bon spécimen, mais comme les poissons sont souvent pêchés ici, je souhaite mieux connaître leur comportement avant de tenter ma chance. Parfois, il vaut mieux avoir un peu plus de patience pour pouvoir en attraper plus tard.

Bien sûr, c’est toujours un peu risqué, mais tant qu’il n’y a pas d’autres pêcheurs et que les puces d’eau sont présentes, je ne vois pas pourquoi les carpes partiraient.

Il m’est apparu clairement qu’il existe deux bancs de carpes différentes, ainsi que quelques poissons plus solitaires. Malgré cette particularité, j’ai trouvé beaucoup de similitudes dans le comportement des carpes dans les deux bancs.

Il semble y avoir des carpes dominantes dans les deux bancs, ou du moins ce sont des poissons qui semblent influencer le comportement des autres d’une certaine manière. Ce sont clairement les plus gros poissons, et je les ai vus chasser à plusieurs reprises des carpes plus petites et même des brèmes en fonçant vers eux et en les poursuivants de quelques coups de queue.

Ce sont également les poissons qui ont donné le feu vert aux autres pour pouvoir se nourrir, une fois que les poissons-pilotes étaient déjà en train de se nourrir.

Ces poissons-pilotes sont un ou deux poissons d’un banc qui sont systématiquement les premiers à accepter des appâts, et donc aussi les premiers poissons à être capturés.

J’ai également pu constater à plusieurs reprises que certains poissons, sans exception, ne ramassaient que des appâts qui se trouvent en dehors de l’endroit principal amorcé. S’agit-il des poissons les plus intelligents ou montrent-ils simplement un type de comportement différent ?

Observations d’un pêcheur de carpes…
Les carpes suivent à chaque fois le même itinéraire. Ici l’entrée d’un herbier.

Toutefois, en se comportant ainsi, ils sont rarement capturés parce que la plupart des pêcheurs de carpes préfèrent pêcher au milieu de leur zone amorcée. À chaque endroit amorcé de façon relativement compacte les appâts étaient ramassés de l’extérieur vers l’intérieur. Cela se passait généralement par phases.

L’endroit amorcé était toujours approché selon un itinéraire fixe, après quoi les poissons passaient d’abord deux ou trois fois avant que les poissons-pilotes ne prennent leurs premières bouchées.

Ce n’est que plusieurs passages plus tard que les autres poissons se joignaient au festin. On constate donc clairement un comportement structuré au sein d’un banc de carpes. Notez que cela s’est produit dans une eau très pêchée avec des bouillettes et des pellets comme appâts.

Observations d’un pêcheur de carpes…
En observant, vous devez être aussi patient et prudent qu’un héron !
Observations d’un pêcheur de carpes…
Amorcer dans les trous d’un champ de nénuphars montant m’a permis de capturer une belle série de carpes.

Un morceau de bouillette

Maintenant que je connais bien les endroits amorcés et les itinéraires des poissons, je peux m’adapter au mieux pour bien les pêcher. J’amorce à quatre endroits et je positionne mes lignes de façon à ce qu’elles ne traversent pas la zone par laquelle les carpes arrivent, et je laisse beaucoup de mous.

Les carpes ne sont donc pas confrontées à mes lignes en arrivant. Mes esches sont placées à la limite extérieure de l’amorçage, contre un herbier. Ma ligne n’est équipée que d’un hameçon avec un morceau de bouillette, et d’une chevrotine pour bien plaquer le dernier mètre. Comme toujours, les poissons ne prennent pas directement les appâts.

Ils passent d’abord plusieurs fois avant que les premiers ne se décident. Les conditions sont bonnes. De petites vaguelettes sur la surface de l’eau me rendent moins visible pour les carpes, et la couverture nuageuse qui se brise me donne, aidé par mes lunettes polarisantes, une meilleure visibilité dans l’eau. Trois poissons apparaissent dans mon champ de vision.

Une grande miroir épaisse et deux communes arrivent à ma droite et nagent lentement au-dessus de l’amorce. Je reconnais la miroir et le poisson-pilote et je sais que le reste du banc suivra.

Je change de position pour pouvoir mieux regarder par-dessus les orties. Elles arrivent. Le vent s’affaiblit légèrement quand elles passent à deux mètres devant mes pieds. Elles ne se méfient pas de ma ligne.

Le poisson-pilote, clairement reconnaissable à la cicatrice sur sa tête, plonge et prend trois bouchées d’appâts puis rejoint à nouveau le reste du banc. Ça me tape bien sur les nerfs ! Environ dix minutes plus tard les poissons sont de retour.

Observations d’un pêcheur de carpes…
Amorcer dans les trous d’un champ de nénuphars montant m’a permis de capturer une belle série de carpes.

La commune avec la cicatrice devant. Plusieurs poissons plongent maintenant et prennent chacun une ou deux bouchées. Une commune descend et aspire des miettes de bouillettes pas loin de mon esche.

Je me cramponne à ma canne. Elle se dirige vers mon morceau de bouillette et le saisit. Boum, ferrage, c’est bon ! Le reste du banc panique et s’enfuit dans tous les sens.

Les vagues se déplacent principalement vers l’autre côté de la baie. Quelques minutes plus tard je pose mon trésor sur le tapis. Une belle qui frôle les 15kg. Une heure de calme plus tard les autres poissons reviennent sur l’amorçage…

 

Observations d’un pêcheur de carpes…
Une carpe qui repousse une autre…

Jongler entre spots

Un autre jour, une autre partie de la baie. J’ai compris maintenant qu’à chaque fois que je ferre un poisson, tous les autres s’enfuient et je dois à chaque fois attendre plus d’une heure avec qu’ils ne reviennent.

Cependant, je les ai vus plusieurs fois peu de temps après se nourrir sur l’un des autres endroits que j’amorce. Le fait de les effrayer à un endroit ne les empêchent donc pas de se nourrir en toute confiance à un autre endroit.

La tactique que j’utilise à partir de ce moment est donc la suivante : j’amorce les quatre endroits et quand j’ai capturé un poisson, je me déplace vers l’endroit le plus éloigné de là. Si j’en prends encore un, je tente mes chances sur l’un des deux endroits restants.

Je pêche donc les différents spots les uns après les autres, et pendant que j’en pêche un, ils peuvent inspecter les autres endroits et y manger sans être dérangés.

Un banc de huit carpes se déplace lentement, prenant parfois quelques bouchées dans les plantes aquatiques. Chaque fois, elles suivent le même itinéraire le long du mur de bois, puis du côté des pierres, suivant la pente, passant la fosse, jusqu’à une entrée dans un grand herbier pour y ressortir 20 mètres plus loin.

Une fois en eau libre, elles retournent en demi-cercle jusqu’au mur en bois, une ronde d’environ cent mètres. L’amorce se situe sur la pente jusqu’à l’entrée de l’herbier. Tout est prêt, ma ligne est en place, les poissons arrivent. Les trois premiers passent au-dessus de l’amorce, mais le quatrième, cinquième et sixième descendent et prennent quelques bouchées.

Les deux derniers s’arrêtent au-dessus et semblent regarder. Une commune prend quelques bouchées près de mon esche. Ma ligne bouge. Je prends la canne. La ligne se tend. Boum ! C’est le même schéma à chaque fois.

Les autres poissons paniquent et s’enfuient vers l’autre côté de la baie. Quelques minutes plus tard j’ai un poisson sur le tapis. Quelques photos puis direction de l’autre côté de la baie.

L’approche fonctionne jusqu’à ce que les autres pêcheurs découvrent ce qui se passe dans la baie. Résultat : des lignes tendues qui traversent la baie partout et les poissons qui quittent la zone définitivement.

Si vous avez vu de vos propres yeux comment les carpes réagissent aux lignes tendues, vous essayerez d’éviter cela autant que possible. Il suffit que cela alerte un seul poisson pour que tous les poissons du banc changent de comportement.

Observations d’un pêcheur de carpes…
L’aquascope est un outil pratique pour trouver des trous dans les herbiers.
Observations d’un pêcheur de carpes…
Un poisson qui cherche « la petite bête » !

Dans les nénuphars

Lentement, le bateau glisse dans un champ de nénuphars montants jusqu’à ce qu’il s’immobilise. Il faut un certain temps avant que les premières feuilles bougent et qu’une carpe apparaisse dans un trou.

Là, elle reste dans les parages jusqu’à ce qu’elle soit rejointe quelques minutes plus tard par deux autres carpes avec lesquelles elle poursuit son chemin à travers les nénuphars. Les carpes utilisent probablement les espaces ouverts comme points de repère, car elles ne nagent pas toutes à travers les nénuphars et la laitue d’eau, mais souvent aussi au-dessus, d’un espace ouvert à l’autre.

Parfois, elles semblent nager au hasard, mais finissent toujours dans un espace dégagé pour continuer leur chemin à partir de là.

Sur la berge je trouve une ouverture dans les roseaux d’où je peux pêcher quatre de ces espaces dégagés. Je vais amorcer ces spots pendant deux jours. Si en pêchant l’un de ces trous je n’ai pas de touche pendant une heure, je relancerai ma ligne dans un des autres trous.

Cette tactique semble fonctionner, car au cours des semaines suivantes, je réussis toujours à attraper plusieurs poissons lors de mes sessions qui ne dépassent jamais les 5 heures.

Quand je commence à pêcher ce poste depuis le bateau, cela devient vraiment très intéressant. Plusieurs fois, je peux voir arriver les poissons, presque toujours depuis la même direction.

Ils descendent sur l’amorce, je vois comment ils se piquent, comment ils secouent la tête et comment ils s’enfuient. Souvent les carpes entrent en contact avec mon fil bien détendu, mais cela ne conduit pas à des réactions de panique et ne change pas leur comportement. Pas tous les poissons ne s’intéressent aux appâts.

Certains prennent une bouchée qu’une seule fois, recrachent tout et ne touchent plus rien. Certains partent et ne reviennent plus alors que d’autres reviennent régulièrement. Après un certain temps, je découvre que leur zone de repos se situe une centaine de mètres plus loin dans la direction d’où je les vois arriver à chaque fois.

J’y vois des poissons que je reconnais facilement couchés au fond dans la végétation. Certains sont dans un état dormant. Apparemment, les poissons de cet endroit se déplacent vers un autre endroit et rencontrent mon amorce sur leur chemin. Pour l’instant le mystère reste entier : où se rendent ces poissons quand ils traversent ma zone de pêche ?

Observations d’un pêcheur de carpes…
Voici un poisson pilote, une carpe qui se fait très souvent prendre en premier…
Observations d’un pêcheur de carpes…
Un fil tendu, une grave erreur. Si la carpe le détecte, l’endroit est ruiné !

L’observation nous permet d’apprendre tellement de choses. C’est incroyablement amusant et excitant ! Si pour vous la pêche ne veut pas seulement dire attraper du poisson, n’hésitez pas à consacrer plus de temps à l’observation.

Où sont les poissons ? Comment se comportent-ils ? Pourquoi se comportent-ils de telle ou telle façon ? Parfois il vaut mieux pêcher un peu moins et observer un peu plus afin de pouvoir pêcher bien mieux ensuite. Et n’est-ce pas le but ultime ?

Nous avons tous des contraintes de temps. Une promenade avec un partenaire, des enfants, un chien ou seul, une excursion en bateau avec la famille, un peu de course à pied ou à vélo.

Tout peut être combiné avec l’observation.

Les 10 choses qui m’ont le plus marqué lors des observations sur des eaux fortement pêchées

1 : Les carpes ont la capacité d’apprendre à inspecter un endroit amorcé avant de s’alimenter.

2 : Les bouillettes rondes sont mangées en dernières.

3 : Les lignes bien détendues, qu’elles soient verticales ou horizontales, ne provoquent pas de réactions de panique et ne modifient pas le comportement des carpes.

4 : Une fois qu’une ligne tendue est détectée, le comportement des carpes change, ce qui les conduit parfois même à éviter la zone temporairement.

5 : Les carpes sont capables de se protéger entre elles. Une carpe peut repousser une autre carpe d’une situation dangereuse (un montage par exemple).

6 : Les carpes montrent leur dominance vis-à-vis d’autres carpes, mais aussi vis-à-vis d’autres espèces de poissons, en les repoussant ou en les poursuivants brièvement.

7 : La carpe que vous attrapez habituellement sur un amorçage compact est presque toujours un poisson-pilote.

8 : Si la luminosité le permet, seules quelques carpes semblent réagir clairement aux appâts de couleurs vives. Ce sont souvent les poissons-pilotes.

9 : Une ligne qui semble presque invisible vu de la surface peut être clairement visible dans l’eau.

10 : Les carpes peuvent détecter votre présence sur la berge avec une canne !

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