Sessions - Récits

Le Temps du Rêve (2ème Partie)

Revisiter ces certitudes

Alexis Dugast

Si février fut généreux, mars et le reste, jusqu’à juillet furent besogneux. Amer labeur récité par cœur qui, depuis 3 années s’entête dans l’habitude, celle-là qui mène à l’effacement, la cécité. Aucune explication suffisamment rationnelle pour expliquer la disparition prolongée des poissons n’a su convaincre.

La perception des sens est déréglée, devenu sourd et muet à l’approche de la Seine, tout est assombri par le désir comme un feu par la fumée, un miroir par la saleté. La conscience encore affadie, il ne s’agit plus de renouer avec les victoires passées. La raison bloquée par la perte, je quitte Paris pour m’alléger l’esprit dans l’ailleurs.

Le Temps du Rêve Alexis Dugast CARP LSD
Un bon ancrage pour faire face au courant !

Fin août, de retour dans le gris, sous la pluie. Les températures ont baissé, peut-être plus tôt que l’année passée, et le mirage de l’habitude semble avoir été chassé. Je décide d’orienter ma prochaine pêche sur un poste inconnu car mal fréquenté. Arrivé sur les lieux, au sommet d’un muret, l’excitation redescend.

Je lâche prise, et de nouveau me résous à plus de sagesse. Les résidents rendraient toute tentative absurde.

Plan B en tête, retenu par le vif intérêt d’un regard croisé durant le chemin allé, je décide de suivre la piste en retournant sur ce poste qui, en 2016, n’avait rien produit d’autre qu’un capot après un long amorçage. Très logiquement, je remets donc ce même long amorçage en place.

Compter 10 jours avec 5kg tous les 2 jours, le tout sous l’intuition des forces du moment. En ça réside peut-être toute la logique de certitude à apporter à cette nouvelle donne, celle ou plus rien ne tient. Après tout, ce qu’il y a de formidable à la pêche, c’est qu’on peut penser tout et son contraire.

Notre vision de l’envers peu l’instant d’après, se métamorphoser à l’endroit. Il semble que les cycles de croyances soient mouvants, qu’ils viennent aspirer les convictions de celui qui cherche à comprendre. C’est peut-être précisément là, où commence la dépendance liée aux possibilités immenses du comportement imprévisible du poisson. Cette quête d’éternel recommencement.

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La nuit tombe, le rêve s’installe…

Lundi 22h, il est temps, je quitte mon travail en avance dans une hâte obsessionnelle. A peine plus tard sur les quais, le plomb frappe l’eau juste avant là ou passe les bateaux. La seconde est fouettée, en cloche, contre la proue d’une péniche résidante.

La troisième attendra, car déjà, je suis aux prises avec un poisson sur la première. Ma première est une commune, qui ressemble à mes deux dernières, 2 mois plus tôt. Je maintiens le coup en réamorçant 3 poignées par canne et finis de tout relancer. Les dés sont jetés, 1h passe, et comme bien souvent, le nylon se déroule pour un nouveau combat.

Commune présumée, jusqu’à sa remontée, c’est en fait une miroir musclée qui vient me combler. Les touches s’enchaînent avec encore 2 communes. Stupéfaction, je reconnais l’une d’entre elles, déjà prise dans un des canaux connectés à la Seine.

Il est 6h quand je commence à trouver le sommeil. Une collision suivie d’un craquement fabuleux me fait calmement ouvrir les yeux. Un camion-poubelle vient de percuter un arbre juste après mon rod-pod et ma tête. L’engin est maintenant coincé sous une branche colossale qui de nouveau cède pour finir sa course dans l’eau. Mes Delkim sonnent, je ramène.

Il me reste des poissons à immortaliser et après pareil nuit, jouer les prolongations sonne comme un juste excès. Serein, je prolonge.

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Un poisson bien en forme !
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Une commune qui n’a pas hésité à traverser plusieurs écluses !

Trois heures passent, la voix est libre, les bûcherons ont fini d’abattre leur tâche. Désabusé, je relance toutes les cannes. Dans une mouvance incontrôlable, la fatigue m’attrape. Machinalement, je me résigne à prendre les photos et partir. Trois mètres en contrebas, relié à une corde, sur le bas d’une échelle, je tente de démêler les sacs, sans prendre l’eau.

Départ !!

Éberlué, je remonte maladroitement pour subir un rush incontrôlable, elle me tient, l’adrénaline suinte et le nylon siffle. Je maintiens une résistance raisonnée, dans une acrobatie pour soulager le leader et éviter qu’il s’effiloche sous la coque.

A l’usure, une de ces miroirs vient combler mon désir de démesure. Tandis que mes bras s’atrophient, mes yeux se gavent et captures avec allégresse toutes ces certitudes, rapidement relâchées au doute.

Cesser de rêver au mouton à cinq pattes, d’espérer trouver l’endroit parfait, là où les problèmes n’existent pas, là où seules nos fonctions principales sont utiles, là où personne ne viendra nous causer du tort. Voilà peut-être un des enseignements qui accompagna cette session…

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Un poids lourd du Fleuve !

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