de Eric Moreira
Nous sommes tous plus ou moins à la recherche de l’appât miracle ou de l’ingrédient qui ferait de nos bouillettes des esches irrésistibles.
Les hasards de l’observation m’incitent à penser que ces derniers se trouvent régulièrement devant nos yeux, mais que nous ne les voyons malheureusement pas.
Je vais donc vous conter mon histoire avec laquelle j’essayerai de vous faire comprendre ma réflexion et découvrir le cheminement qui m’a amené à trouver l’appât du moment, puis un de ses composants très intéressant…
Ces découvertes se sont produites au cours d’une semaine de congé automnale, au cours de laquelle j’espérais fortement attraper quelques jolis poissons dans un plan d’eau sauvage de ma région, un véritable petit trésor caché où je me suis beaucoup investi jusqu’à présent et sur lequel je parviens désormais à obtenir des résultats satisfaisants.
Il est quatre heures, ma Carpemobile en mode préchauffage et tout mon attirail m’attendent sagement à l’extérieur.
De mon côté, je termine de m’habiller chaudement et de boire ma dernière gorgée de café ce matin-là.
Chose faite, je chevauche la monture d’acier et après une bonne heure de volant au cours de laquelle j’ai eu le privilège de pouvoir croiser de jolis chevreuils et quelques renards, c’est avec un mégot au bec que je m’apprête à descendre dans la cuvette profonde d’un de nos bois ardennais…
Promenons-nous dans les bois…
Une fois sur place, je m’empresse de sortir de mon coffre tout le matériel réduit volontairement la veille, dans le but de pouvoir atteindre mon poste sans attraper une méchante scoliose !
Effectivement, ce dernier, plutôt lointain, n’est accessible qu’en s’y rendant à pinces et se situe tout de même, pffff, à l’autre bout de l’étang !
Je m’engouffre donc avec le dos harnaché de tout cet équipement et ma frontale sur le front, dans une obscurité épaisse, où seul ici, le bruit de mes pas dans les feuilles mortes et celui d’une cascade avoisinante sont perceptibles à cette heure plutôt précoce !!!!
Après m’être mis dans la peau de Rambo pour effectuer un véritable parcours du combattant et éviter tous les pièges de dame nature, j’arrive finalement sur mon poste avec le souffle coupé et un dos bien humide, qui ne m’empêcheront d’ailleurs pas de m’activer pour monter ma station de travail et escher mes lignes à la seule lueur de ma Pelzer.
En attendant patiemment que le soleil veuille percer et réchauffer un peu cette atmosphère, je tends attentivement l’oreille à l’affût du moindre saut.
Le jour levé, l’absence de fouilles apparentes ou d’eaux brouillées ne m’engageront guère à changer mon fusil d’épaule ce jour-là !
Il n’y a vraiment pas le moindre signe d’activité au beau milieu de ce froid et toute cette humidité presque insoutenable, je finaliserai donc cette prospection en décidant de placer mes pièges précisément sur mes spots habituels et en les amorçant avec mes billes Ananas / Butyrique maison.
C’est calme…
Il est désormais dix heures, et curieusement mes détecteurs de touches n’ont pas encore émis le moindre son jusqu’à présent.
En temps ordinaire, j’enregistre fréquemment un ou deux départs sur mon petit haut-fond, avant cette heure ! Le sablier s’écoule, s’écoule…
Et je ne vois toujours rien venir. Malgré cela, l’espoir reste au beau fixe, car mes autres lignes sont convenablement positionnées sur de véritables hotspots.
Pour être plus explicite : dans une cassure située le long d’une très belle bande de nénuphars. Il m’en a fallu du temps pour réussir à décrypter ces postes et élucider une part des mystères qui règnent en ces lieux.
Des acquis qui me permettent habituellement de mettre à l’épuisette quelques jolis poissons entre 11 h et 13 h 50, précisément !
Mais toujours rien à 19 h !
Perplexe, je ne remettrais pas pour autant mon approche en cause cette soirée-là et resservirais un couvert identique dès le lendemain matin, une seconde sortie au cours de laquelle j’essuierai malheureusement un deuxième échec, mais que se passe-t-il ? Où sont-elles cachées ? C’est vraiment le néant total…
Jamais 2 sans 3…
C’est seulement au cours de ma troisième sortie, abordée avec un enthousiasme au plus bas, que je suis finalement parvenu à débloquer la situation en enregistrant mon premier départ… Et par chance, beaucoup d’autres ont suivi le reste de la semaine !
Quelle réjouissance d’être capable d’apporter une solution à un problème et de pouvoir évoluer dans sa pêche.
Pour obtenir ce résultat, je suis vraiment allé au bout de ma réflexion, en pêchant avec le fruit de mes observations, et ce n’est pas faute de l’écrire…
Observer pour trouver la clé…
Je m’explique : hormis un silence total au cœur de cette jolie forêt, du moins, c’est ce que je pensais jusqu’à cet instant !
Il y avait tout de même bien un bruit très persistant auquel je n’avais porté aucun intérêt depuis le début de cette aventure, car beaucoup trop commun et ancré dans le décor : celui de rafales de mitraillette rythmées par le vent, sous toutes les bordures jonchées principalement de chênes centenaires.
Une véritable scène de guerre amplifiée par la réverbération acoustique de cette fameuse cuvette.
Eh oui ! Les fruits en question n’étaient pas des munitions, mais vous l’aurez compris : des glands !
Mais comment ai-je pu faire l’impasse sur une chose aussi flagrante ?
La raison : un excès de confiance en mon approche routinière et surtout en mes bouillettes fraîchement roulées avec des produits qui m’apportaient toujours d’excellents résultats !
Le peu de pêcheurs à ma connaissance ayant eu le cran d’escher des glands au bout de leur ligne, n’ont certes jamais enregistré beaucoup de départs en procédant de la sorte, mais ont bel et bien évité un capot en le faisant dans des lieux comme celui-ci !
À mon humble avis, la raison des maigres résultats obtenus avec ces appâts est simple à comprendre et me paraît crédible : quotidiennement, un seul arbre est capable de déverser plusieurs kilogrammes de fruits, vous multipliez donc ce poids par le nombre de chênes présents, et finalement par le nombre de jours au cours desquels ils tombent abondamment des branches et vous obtenez très vite des quantités impressionnantes sur le fond.
Le simple fait d’arriver à extraire ne serait-ce qu’une seule carpe au beau milieu de toute cette omniprésence de nourriture naturelle, représente déjà un véritable exploit.
Un fruit délaissé
Toutes mes constatations me font penser que les carpes aiment beaucoup les glands et sûrement bien plus que l’on ne peut se l’imaginer.
Je pense également qu’elles en consomment beaucoup avant l’hiver, partout où ils sont présents, car hormis le côté nutritionnel (amidon, vitamines…) que ces derniers peuvent apporter sur le plan alimentaire, ils les immunisent et les aident peut-être à lutter contre la faim et certaines maladies pendant les grands froids d’hiver.
Les sangliers le font tous les ans, alors pourquoi pas nos carpes ?
Une saveur très désagréable !
Cependant, en ayant pris soin d’en prélever le moment venu, je pense qu’il serait très judicieux d’utiliser cette esche hors saison automnale, pour se rendre réellement compte de sa véritable efficacité.
Avez-vous eu l’occasion de goûter un de ces fruits ? Moi, oui !
Et le jour même d’ailleurs, ma langue et mon palet s’en souviennent encore, et me font également dire que c’est une des saveurs des plus désagréables que j’ai eue l’occasion de tester dans ma courte vie, c’est vraiment horrible, un goût âcre, très amer et astringent qui vous reste en bouche de longues minutes…
Même après avoir pris soin de la rincée abondamment avec de l’eau. Mais comment font-elles pour manger des choses aussi infectes que cela ?
Eh bien, elles le font, et régulièrement !
Quand je pense que l’on nous bassine souvent avec toutes ces farines désamérisées, des produits censés améliorer le goût de nos appâts, amoindrir leur amertume et supprimer certains facteurs antinutritionnels qui n’en sont pas forcément !
Car il faut tout de même garder à l’esprit que l’organisme d’une carpe et ses intestins en particulier (prouvé scientifiquement) savent très bien les éliminer eux-mêmes, grâce à la production naturelle d’une enzyme appelée : tannasse.
Cette dernière sépare le tanin en glucose et en acide gallique qui a des propriétés antioxydantes et une activité antitumorale, antibactériennes à ne surtout pas négliger… Eh oui, la nature est formidablement bien faite et n’a pas attendu après nous pour exister !
Je souris discrètement de mon côté ! Attention, je ne dis surtout pas que ces produits sont mauvais, loin de moi cette idée, mais que nous passons désormais à côté d’un facteur délibérément amoindri par de nombreux prescripteurs de l’époque (l’amertume dans ce cas).
Quand une découverte en amène une autre…
De retour à la maison, je me suis empressé de faire travailler un célèbre moteur de recherche, afin de pouvoir me renseigner efficacement sur le goût de ce fruit et en particulier sur la sensation désagréable qu’il avait fait subir à ma cavité buccale.
Après avoir passé plusieurs nuits blanches avec cet outil révolutionnaire, mes recherches m’ont finalement conduit dans les coteaux champenois, et plus précisément à Épernay, pour m’approvisionner auprès d’un laborantin en œnologie.
Sur place, cette charmante personne me mit immédiatement en garde en me stipulant clairement que les produits en question ne devaient pas être utilisés à fortes doses, afin de ne pas obtenir un goût trop astringent dans mes futurs appâts.
La principale cause étant l’acide tannique que contenaient tous les différents échantillons de tanins qu’elle venait généreusement de m’offrir.
Humainement parlant, cet acide est assez puissant pour resserrer nos papilles gustatives et nous assécher la bouche.
Conversation bien engagée, elle ne manque également pas de me préciser, que ces derniers méritent grandement d’être arrondi avec…, afin d’obtenir un meilleur effet et une meilleure absorption.
Bref, les amateurs de vins doivent savoir de quoi je parle ici, quand ils dégustent une bonne bouteille de Côtes-du-Rhône, un vin très tannique !
Un peu d’histoire…
Deux célèbres pêcheurs et frangins dans la vie qui utilisaient auparavant une grosse quantité de piment en poudre dans leur mix, émettaient l’hypothèse que leurs bons résultats avec ce genre d’appât étaient probablement dus à l’inconfort que produisait cette épice dans la bouche des poissons, et qu’il les incitait probablement à s’alimenter un peu plus que d’ordinaire pour parvenir à éteindre ce feu intérieur, qui lui, s’amplifiait davantage à chaque nouvelle bouchée !
Mais avant qu’une carpe ne se rendre compte que la source de cet inconfort venait principalement des bouillettes, il était, malheureusement, déjà trop tard pour elle.
Ils disaient aussi : » tout comme les épices fortes donnent soif à l’homme, il donne sûrement faim à une carpe, car celle-ci évolue quotidiennement dans un milieu liquide et non aérien comme le nôtre ! »
Avant d’avoir été renseigné, il y a peu de temps, par celui que je considère être un des plus grands dans ce domaine, un véritable Druide, je sais désormais qu’ils avaient tort, mais qu’ils auraient pu valider leurs hypothèses avec de l’acide tannique, car celui-ci assèche réellement tous leurs bourgeons gustatifs, comparativement à la capsaïcine du piment qui, elle, les dilate et offre des opportunités sur lesquelles je reviendrais peut-être dans un prochain article.
D’autres pêcheurs quant à eux tenaient aussi des propos semblables concernant le sel marin utilisé à haute dose (inutile), mais c’est bel et bien avec un peu d’acide glutamique (A.A) que les résultats sont désormais les plus probants, car ce puissant exhausteur de goût apporte réellement une valeur ajoutée à nos appâts et pas que… (ce fameux syndrome des cacahuètes !).
Il ne m’a donc pas fallu longtemps pour faire le rapprochement et mettre en action ma découverte.
Chose faite, mes constatations sont les suivantes : ce produit est efficace s’il est bien choisi parmi toutes les variétés de tannins existantes.
Maîtrisé, il produit des touches assez rapidement et dans toutes les conditions. Mais cela va sans dire, si le poisson est naturellement présent sur le poste et quelque peu affamé, car ce produit, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, n’est pas magique et en aucun cas un stimulateur d’appétit, mais plutôt un réel subterfuge gustatif (un leurre).
Je soupçonne d’ailleurs certains tannins d’avoir la faculté de repousser les poissons-chats de nos postes ainsi que les moustachus qui posent un problème partout où ils abondent, mes futurs tests me le confirmeront peut-être un jour, le meilleur reste à venir…
J’entends déjà certains d’entre vous se dire : Mais, il nous prend pour des glands (rires), car ces derniers ne sont pas présents partout ? Eh bien, je vous répondrais tout simplement : NON !
En revanche, je peux affirmer que les tanins, donc l’acide tannique, est naturellement présent dans les feuilles, dans les racines, les branches et aussi dans les fruits tels que les mûres et les prunelles présentes le long de nos canaux sauvages, sans oublier, bien sûr, les marrons et les châtaignes avec lesquels il est aussi tout à fait possible de prendre du poisson partout !
La liste est vraiment longue. Ces racines et branches où s’accumulent beaucoup de feuilles (surtout lors de grosses crues en rivière) rejettent beaucoup d’acide tannique au fond de l’eau en modifiant légèrement son potentiel en hydrogène (ph).
Mais cela n’a jamais empêché les carpes de se reposer sur de tels postes et d’y hiberner tout l’hiver.
Je pense notamment à certaines fosses profondes où s’accumule un maximum de ces débris, simples coïncidences ? Sûrement…