Quand on parle de carpes, les départs font toujours partie du scénario, et font plaisir… Mais dans ce cas précis, c’est le départ d’un homme dont on parle… et cet évènement m’a tourmenté et fait beaucoup réfléchir. Il me semblait important de partager avec vous lecteurs, un témoignage de 30 ans et de passion… un petit bout d’histoire de notre passion.
Notre rencontre, il y a 30 ans
Elle s’est passée dans une ballastière, sur les bords de Seine vers Montereau. Je pêchais la carpe depuis peu et mes lectures avaient été éclairées par un certain Henri Limouzin dans un magazine de pêche de l’époque : La Pêche et les Poissons.
J’avais acheté un livre écrit en anglais : « Carp Fever » et un pull de l’armée pour déjà me donner « le style carpiste ». Internet n’existait pas et pour avoir des informations c’était compliqué. Mais Henri Limouzin faisait état dans ses écrits de pêcheurs anglais qui ouvraient la voie à la pêche moderne : Kevin Nash, Kevin Maddocks… et un certain gourou des appâts : Rod Hutchinson.
Ce jour de septembre, au milieu des années 80, j’ai rencontré sur les bords de cette sablière un anglais qui pêchait avec sa femme, une certaine Annie. Naturellement je suis allé les voir. C’est sûrement parce que j’étais jeune et semblait tant passionné et curieux que Rod et Annie m’ont ouvert la porte de leur cœur… l’histoire a duré 30 ans…
Nos moments de partage
Sapel 94 : c’est sur ce salon que j’ai eu la chance de rencontrer Alistair Bond. Il venait de se lancer dans le montage des cannes pour Rod. Alistair est vraiment un personnage So british : je l’adore, il a beaucoup fait pour moi également… et je profite de ces lignes pour publiquement le remercier ! TF1 : l’explosion médiatique qui a boosté la pêche de la carpe en France… Rod avait le sens de l’eau et des appâts pour tromper les carpes : je vais vous livrer une anecdote, que personne ne connaît.
Lors du tournage pour TF1, nous arrivons avec Léon dans un plan d’eau du centre de la France. Rod nous rejoint avec son éternel compagnon : Mally Roberts. Seulement voilà, nous tombons en pleine période de frai. Et malgré tous nos efforts, Léon et moi-même, sur une berge, ne prenons aucune carpe.
Nous pêchons à toutes les distances, avec des bouillettes, petites, des flottantes, etc. Un matin, nous allons voir Rod pour prendre le thé et de ses nouvelles. Un grand sourire lui traverse le visage : il a en effet capturé 2 carpes !
Nous lui demandons comment il a fait. Et bien c’est simple, à 2 mètres du bord, avec des hameçons numéros 10 et du maïs doux monté sur la hampe ! Rod n’a jamais voulu que l’on montre ses images car il ne voulait pas être la vedette.
Il était à la pêche avec ses amis et aurait aimé que ce soit nous qui prenions les carpes, ce que nous avions fait la semaine d’après. Avec cette anecdote vous comprendrez mieux qui était Rod, un pêcheur passionné qui ne souhaitait pas la lumière. Mais elle le suivait malgré lui !
Nos pêches
La Seine, Der, Orient, Raduta, Mantova, ou dans mes gravières parisiennes ou même chez lui, j’ai eu la chance de beaucoup côtoyé Rod et chaque moment était sous le signe du partage, de la poésie. Cela va faire bondir certains mais on parlait peu de pêche, en tout cas pas de technique…
Rod voulait sentir la pêche, il « humait » l’air comme si celui-ci allait l’inspirer et le guider là où poser ses cannes. Il disait d’ailleurs : mieux vaut un montage médiocre placé au bon endroit, que 1000 super montages placés n’importe où…
Rod était un pêcheur inspiré dirons-nous, il avait toujours le quart d’heure d’avance qui caractérise ces personnes géniales car les pêcheurs d’aujourd’hui ne savent pas tout ce que nous lui devons. Les appâts forcément : Scopex ( the best..) Chocolate Malt, Monster Crab, Mulberry, Secret Agent…
Et des mixes de l’espace : Superfish/Liver mix, Yellow Seed, Addicted… Mais pas que, le biwy, c’est lui ! En effet, avant un carpiste pêchait sous un parapluie plutôt petit de 2,20m. Et l’idée de sortir un abri assez grand pour partir en session en Europe lui est venue et il l’a conçu, c’était un dôme avec des mats en fibres ou en alu pour la version « luxe ». C’était la gamme des abris Apothéosis.
Les housses matelassées rigides pour transporter les cannes, c’est lui, Les matelas super XXl pour les carpes, c’est lui, les cannes IMX et Dream Maker, c’est encore lui… Bref beaucoup de produits géniaux que j’ai encore en ma possession et que je vais du coup ressortir pour me faire une session « revival », sûrement avec mon ami David qui lui aussi, je le sais, a gardé précieusement ces produits…
Dream Team for ever
J’ai eu la chance exceptionnelle de faire partie d’une équipe, composée de pêcheurs pour promouvoir la marque, alors en plein essor, avec pour ambition de prendre le marché européen.
L’objectif était de partager nos connaissances pour pécher et faire des pêches que nous communiquerions par medias interposés partout dans le monde carpiste : Ces pêcheurs étaient juste ce qui se faisaient de mieux : Simon Crow, Rob Hugues, Steeve Briggs, Jon Van Eck, Martin Clark, Tim Paisley… et là par contre, je peux vous dire que l’on parlait technique, et que j’ai beaucoup appris à leurs côtés. Nous avons tourné des vidéos ( Madine vol 1 et 2) et en Afrique du sud ( Klasserie Dam).
Sponsoring
Le sponsoring de l’époque était pas du tout ce que l’on connaît aujourd’hui. Rod était vraiment cool avec nous, super bienveillant, ne mettait aucune pression sur des résultats ou le fait de montrer ses produits. Ce qui l’intéressait c’était que l’on soit heureux à la pêche.
D’ailleurs je n’ai jamais eu l’impression d’être sponsorisé, non car on ne me demandait rien.
Cela faisait plaisir à Alistair de me faire tester des nouveaux blanck, et Rod attendait plus « des histoires de pêches » que des comptes rendus techniques ou des participations sur des salons.
Les salons d’ailleurs, il en avait horreur. En effet, au contraire de certains qui aujourd’hui se filment et se publient sans cesse, Rod n’avait qu’une phobie : la foule, les gens. Il préférait être au calme, au bord de l’eau et le faire participer à un salon c’était un défi de tous les instants ! Alistair devait « négocier sec » pour l’attirer à Montluçon ou le stand Rod ne désemplissait pas de la journée.
Le monde a bien changé…
Aujourd’hui je suis triste. Car j’ai perdu plus qu’une icône, bien plus que cela. Car moi qui n’ai pas eu de père pour m’amener à la pêche, Rod a rempli ce manque au-delà de mes attentes, me nourrissant de tout son savoir et de sa gentillesse.
De lui j’ai appris, simplicité + humilité + passion… What else ? Merci Rod. Merci merci merci mille fois !!!
Veille sur l’esprit carpiste de là-haut… et moi je prends soin de Yaz comme je te l’avais promis…
SIMON CROW: Rod est un pêcheur de carpes du temps où il fallait concevoir son propre équipement et ses appâts, et il était tout simplement le meilleur de son époque. Il suffisait de passer un moment avec lui pour comprendre que c’était un pêcheur qui réfléchissait beaucoup sur sa pêche et qu’il ne faisait rien au hasard. Il avait toujours des arguments solides. Rod était aussi l’un des personnages les plus drôles que j’ai eu le plaisir de connaître dans le monde de la carpe. Il aimait rire et il aimait les plaisanteries, et c’est ce qui faisait de lui le personnage incroyable qu’il était. C’était un géant et personne ne pourra l’égaler. Il était tout simplement unique.
ROB HUGHES: Rod était une véritable légende et je suis très fier de l’avoir connu, d’avoir travaillé avec lui et d’avoir pu pêcher avec lui. Certaines de mes sessions les plus mémorables ont eu lieu en sa compagnie, surtout dans les années 90, puis lors de mes premiers voyages en Roumanie et en France. Ses aventures continentales de pionnier m’ont inspiré bien avant que je l’ai connu pour de vrai. Il a pris mon ami Simon Crow et moi sous ses ailes au début des années 90, quand il nous a demandé de diriger le « Dream Team », et c’était un plaisir absolu de passer du temps avec lui. Il était drôle, charismatique, et c’était un pêcheur incroyable avec une expérience sans égal. C’était un icône qui n’a jamais oublié l’essentiel : de pêcher surtout pour le plaisir ! Des vraies légendes, il y en a très peu, capables de transcender leur sport et Rod a fait exactement cela. Repose en paix mon vieil ami…